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Carnets de voyage

À la rencontre d'une société malienne

Une exposition des photos de ce voyage sera proposée en novembre.
Une exposition des photos de ce voyage sera proposée en novembre.
Photo : Sabrina Paquin

13 septembre 2007

Sabrina Paquin, étudiante à la maîtrise en management public

Mali 2007, voilà comment je surnomme ce voyage puisqu'il s'agissait pour moi du second en cette terre d'accueil. À mes yeux, ce voyage est différent du premier en tous points, exception faite de l'accueil chaleureux que nous réservent les Maliens. Au quotidien, je découvrais davantage les subtilités maliennes.

Cette année, j'y accompagnais un groupe de neuf étudiants au baccalauréat en études politiques appliquées dans le cadre d'une étude sur la décentralisation et la gouvernance locale.

Ce stage d'une durée de trois mois visait à déterminer de quelle façon les institutions participent à l'élaboration des politiques au Mali et de quelle façon les ONG participent à l'influence des politiques au niveau national et international. Dans un second temps, à un niveau local, il fallait déterminer le degré de participation des citoyens dans leur communauté et évaluer de quelle façon ces gens participent aux élections et à la vie politique de leur localité, tout en vérifiant leur degré de connaissance relative aux institutions. J'ai donc eu la chance d'aller à la rencontre d'une multitude d'acteurs.

Un voyage au Mali est l'occasion de nombreuses rencontres.
Photo : Sabrina Paquin

En si peu de mots, je ne peux vous raconter le Mali dans toutes ses subtilités. Si j'en étais à mon premier voyage, je vous parlerais du climat, des moustiques, du riz, des conditions de vie rustiques en milieu rural, des motos, de la kola, des habits colorés, sans oublier le thé et l'arbre à palabres. Il s'agit d'un pays dont nous avons tout à apprendre. Il faut se laisser bercer par son riche passé et il est facile d'y être dépaysé tellement la vie est différente de la nôtre.

Pour vous donner un aperçu, le pays est à 90 % musulman et on y pratique la polygamie à environ 40 %. Il s'agit d'un pays marqué du sceau du patriarcat. Mais le Mali, c'est aussi une jeune démocratie. Elle date de 1991…

Voici la réalité que j'ai côtoyée au Mali cette année : une démocratie âgée d'à peine 16 ans. Elle existe, la démocratie au Mali, et elle est inspirante pour ses cousins sur le continent africain. Je dirais qu'elle existe de forme; elle est de papier. Et tout aussi fragile. Ce n'est pas que je n'y crois pas, loin de là, mais j'ai compris, au fil des entretiens, qu'on a beau se donner les structures qu'on veut, il faut que le contexte s'y prête, que les gens connaissent et comprennent les structures et qu'on ait suffisamment de ressources pour y arriver… ce qui n'est pas toujours le cas.

De plus, implanter un système consiste en une chose, changer des mentalités en est une autre. On a beau dire à la population que le pouvoir est entre leurs mains, en tant que citoyens, et qu'ils devraient revendiquer leurs droits, mais quand tu as grandi dans un système patriarcal dont l'autorité était hiérarchique et que tu as vécu à la merci du commandant sous le régime colonial et à la merci d'un président militaire sous un régime totalitaire, il ne te vient pas, du jour au lendemain, l'idée de critiquer, la capacité de revendiquer, et surtout, de t'exprimer avec une entière liberté. Il y a souvent une certaine réserve…

En fait, voyager et travailler à l'étranger m'a permis de conceptualiser les mots, de comprendre leurs implications au quotidien. De comprendre les nuances dont sont teintées des concepts telles les politiques d'ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI) et la démocratie, pour ne nommer que celles-là, dont nous faisons l'usage courant dans nos dissertations d'études politiques. Ces mots changent de signification et prennent un visage. Les limites se dessinent tranquillement.

La crise du coton

Sabrina Paquin
Sabrina Paquin

L'un des problèmes majeurs que vit la population malienne présentement est relié au commerce du coton. Élève modèle du FMI, le Mali est en train d'assister à la privatisation de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT). Petit à petit, les acquis s'évaporent. Il semblerait que cette compagnie étatique serait tout sauf rentable; un gouffre sans fond.

Mais en vous disant cela, j'entends un paysan malien me dire : «Oui, mais pendant que c'était la seule chose qui rapportait des sous dans les caisses du gouvernement, les fonctionnaires, eux, ne s'en plaignaient pas. La CMDT était la vache à lait de l'État, c'est elle qui assurait un certain revenu à l'État, mais aussi à ses employés. Les fonctionnaires pourraient nous aider maintenant que nous avons besoin d'eux...» Or, le processus est enclenché, les paysans, eux, ne savent pas nécessairement que d'ici quelques années le coton malien est appelé à disparaître vu sa compétitivité quasi nulle sur le marché international face au dumping.

C'est bien peu de mots pour expliquer une telle problématique. Or, un voyage en terre étrangère, c'est aussi ça : des discussions avec ses habitants. On essaie tant bien que mal de comprendre ce que l'autre vit, on essaie de se saisir de chaque opinion, de chaque point de vue pour dresser un portrait, mais jamais nous ne serons près de la réalité. Ce que je comprends, par les paysans, c'est que la CMDT, ce n'est pas seulement une compagnie d'État qui facilite la culture, la transformation et la vente du coton à leurs yeux… il s'agit d'une entreprise qui a formé des villageois, qui les a alphabétisés pour qu'ils puissent répondre devant elle. C'est ainsi qu'ils ont appris à compter et à calculer. C'est une entreprise qui leur a permis par exemple de trouver des engrais contribuant à une certaine récolte de coton, mais aussi d'assurer du coup la récolte de leur petite parcelle maraîchère… Bref, c'est une entreprise qui a permis le développement local.

Au fil des rencontres que nous faisons, nous croyons que certaines personnes sont de mauvaise foi, ou que d'autres ne cherchent que leur intérêt. Il y a des journées où l'on se demande ce que nous faisons là, commençant à penser que tout est foutu et que rien ne changera jamais… Mais il y a d'autres jours où nous rencontrons des gens qui y croient vraiment, des gens qui ont su s'organiser pour faire une différence. Des associations de femmes qui se permettent de s'exprimer et de faire valoir leurs besoins; des tontines où elles réunissent quelques petits sous ici et là pour aider l'une de leurs comparses à préparer le trousseau de sa fille, à la veille de son mariage. Il y a aussi les fédérations paysannes. J'ai vu des villages entiers se mobiliser pour créer des stocks de céréales…

Bref, ce voyage a offert une multitude de rencontres. C'est ainsi que j'ai découvert le Mali. La qualité d'un voyage en fait, ce n'est pas ça? Le nombre, mais surtout la qualité et le temps accordé aux nombreuses rencontres. N'y a-t-il pas de plus belle façon d'apprendre et de découvrir un pays, une culture, une histoire et une société que lorsqu'elle nous est racontée?

Ce texte est un condensé d'un article originalement publié sur le site Le Multilatéral.